Vous l’avez certainement remarqué. Rien ne ressemble plus à un site marchand qu’un autre site marchand. Pour la première fois dans l’histoire de la Distribution, pour qui la « différenciation » est pourtant un gage de réussite, tous les sites Internet sont construits et fonctionnent de la même façon. C’est la dictature de l’entonnoir ! Il est temps de la renverser...
Schématiquement, les sites qui présentent une offre de produits en ligne, marchands ou non, sont pour ainsi dire tous construits de la même manière. Le parcours-type proposé est le suivant : page d’accueil --> éventuelle page de catégorie / famille --> liste de produits avec filtres --> fiche produit --> panier --> tunnel de commande. Comment en est-on arrivé là et est-ce efficace ?
Le processus d'achat
Les sites marchands ont cherché à répondre avant tout au cheminement de pensée d’un acheteur que l’on représente habituellement comme une succession d’étapes qu’il franchit au fur et à mesure de la progression de sa maturité vis-à-vis de l’achat.
À chacune de ces étapes le consommateur apprécie les informations à sa disposition et passe à l’étape suivante si elles lui permettent de progresser dans sa décision. Dans le cas inverse il revient en arrière ou cherche à résoudre la même étape dans une autre enseigne ou un autre site Internet. Normalement l’assortiment produits susceptible de répondre à son besoin diminue au fur et à mesure de son parcours.
C’est pour cela que l’on a représenté le processus de vente, en miroir de ce processus d’achat, sous forme d’un entonnoir dont la descente permet à l’acheteur de mûrir dans son processus de décision jusqu'à passer à l’acte.
On peut ainsi calquer sur le dit entonnoir le parcours-type décrit plus haut. Pourvu qu’à chaque étape les prises de décision puissent reposer sur la nomenclature de l’offre et sur des critères rationnels (le prix par exemple) ou techniques, le processus peut majoritairement reposer efficacement sur des listes de produits qui comportent une série de filtres appelés aussi « facettes ». L’essentiel est alors d’optimiser la liste ordonnancée de ces attributs portés par les produits qui permettent à l’acheteur d’exprimer progressivement des choix.
Les situations d'achat
On comprend que cette logique est bien adaptée à la famille de situations d’achat que nous appellerons « achats raisonnés ». Partant d’un besoin clair, mais exprimé de façon plus ou moins précise, l’acheteur descendra l’entonnoir au cours d’une expérience qu’il jugera d’autant plus fluide que listes et filtres seront adaptés à son cas. Si le besoin est tellement précis qu’il peut correspondre à un « achat d’obligation », un parcours en entonnoir, raccourci du fait du degré de précision exprimé, est également une réponse satisfaisante. Mais il est d’autres scénarii d’achat où l’entonnoir est à contrario contre-productif.
On peut classifier tous les achats selon deux axes. Le premier est le degré d’engagement de l’acheteur vis-à-vis de cet achat. Il est plus engageant d’acheter un produit d’équipement coûteux qu’une boite de petits pois. Dans le premier cas l’achat sera particulièrement raisonné alors que dans le second le consommateur se contentera d’exprimer le besoin et sélectionner rapidement le produit qu’il a l’habitude d’acheter ou qu’il a décidé d’acheter préalablement à sa visite. Le second axe de classification est le type de réponse à apporter au besoin exprimé. Si le processus d’achat est lié à un besoin qui repose sur une démarche quasi procédurale et sur des critères de choix rationnels ou techniques, c’est l’acheteur qui est à l’initiative. Le marchand se doit d’apporter ici une réponse à chaque étape de son cheminement de pensée qui permette de fluidifier son parcours. Au contraire, lorsque le besoin est extrêmement flou voire jamais exprimé, c’est le marchand qui prend les rênes et émet des sollicitations auxquels l’acheteur doit réagir. C’est typiquement le cas de l’ « achat d’impulsion » ou du fameux « chalandage » autrement appelé « shopping ». La Mode en général correspond pour la grande majorité des cas à ces types d’achat.
L'entonnoir ce dictateur
Dès lors que l’on se trouve confronté à des situations d’achat dont la réponse doit être plutôt « expérientielle » que transactionnelle, l’entonnoir se révèle totalement inadapté. Au lieu de restreindre l’assortiment au fur et à mesure de la progression de la maturité vis-à-vis de l’achat, toute l’offre doit alors rester accessible en permanence. L’acheteur va en effet rebondir d’idées en idées jusqu'à être exposé à un produit ou une série de produits susceptibles de l’intéresser. Dans ces cas l’architecture du site Internet correspond donc davantage à un réseau qu’à une arborescence. Le premier enjeu consiste à faire entrer l’internaute dans l’offre. Pour cela il faut la ou le solliciter au travers d’une « usine à idées » dont une ou plusieurs retiendront son attention. Dès lors qu’elle ou il pénètre un des assortiments proposés, le site doit prioriser la visualisation d’un grand nombre de produits afin de lui en permettre une lecture très rapide. À partir du moment où son intérêt est véritablement suscité, alors elle ou il entrera dans une démarche qui s’apparente à celle qu’accompagne l’entonnoir puisque le besoin est alors exprimable.
Il est intéressant de parcourir les sites présentant des univers qui correspondent à ces situations d’achat très particulières. Ils sont tous architecturés selon ce schéma en entonnoir qui a imposé sa dictature du fait d’un manque de prise de recul des marchands par rapport aux fondamentaux des comportements d’achat. Ils se trouvent alors dans l'incapacité à révéler ou susciter les besoins. Ils se contentent de répondre à ceux qui auraient été préalablement exprimés et en partie résolus sur d’autres sites, magazines voire plus fréquemment sur les circuits physiques.
A l’instant où vous lisez ces lignes la probabilité que vous ayez envie d’acheter une paire de chaussures est faible. Si c’est bien le cas, visitez la rubrique « Nouveautés » d’une enseigne réputée sur cet univers produit (Sarenza ou Spartoo par exemple). Sauront-ils vous inciter à acheter ou ne serait-ce qu’à vous donner une envie ? Vraisemblablement pas.
Il est donc temps de faire rentrer un peu de démocratie dans l’e-commerce et vaincre l’entonnoir !
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