Le Drive (courses alimentaires) est un véritable phénomène en matière de distribution. Ce modèle, inventé par Auchan en 2000, fait aujourd’hui l’objet d’un véritable engouement de la part des consommateurs. En quelques années plusieurs milliers de Drives ont été ouverts par toutes les grandes enseignes. Mais ont-elles suffisamment pris la mesure du risque qu’elles encourent en déployant ce concept à tout va ? Vraisemblablement pas…
Profitant de cette appétence pour ce nouveau service, les enseignes de Grande Distribution ont considéré, à juste titre, que le concept du Drive pouvait engendrer un taux de croissance significatif de leur chiffre d’affaires. Sans évaluer les réelles conséquences sur leur modèle originel, elles ont donc déployé rapidement et massivement le concept, dans une vision court-termiste.
Les magasins qui ont créé un Drive accolé à l’hypermarché n’ont pas suffisamment pris en compte le risque de cannibalisation que ce nouveau service représentait en matière de flux de visite en magasin. Il est difficile de le leur faire avouer, mais certains directeurs de magasin doivent certainement enregistrer en pareil cas des taux de cannibalisation supérieur voire très supérieur à 30%.
Dans le cas du Drive installé dans une nouvelle zone de chalandise, en revanche, la croissance du C.A. est engendrée par l’acquisition d’une nouvelle clientèle. Bien souvent le Drive a même été implanté à proximité d’un hypermarché d’une marque concurrente.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, le Drive vient dénaturer fortement la proposition de valeur de l’hypermarché. Avec lui, la Grande Distribution est en train de scier la branche sur laquelle elle s’était confortablement installée depuis les années 50.
Pourquoi ?
Les courses alimentaires ramenées au rang de corvée
Le succès du Drive s’explique assez aisément. On propose aux consommateurs un service dont il perçoit spontanément la valeur ajoutée. Le prix est identique à celui des magasins, contrairement aux modèles de courses en ligne avec livraison à domicile. Aucun frais supplémentaire n’est facturé au titre de la préparation de commande. Les courses, soigneusement emballées, sont prêtes à être retirées sous 2 heures sur le parking du Drive, pour ainsi dire sans avoir besoin de sortir de son véhicule. Grâce aux courses en ligne, le consommateur réduit très fortement le temps qu’il alloue à ce type d’achats. En quelques clics il met au panier virtuel plusieurs dizaines de produits grâce à ses listes personnelles mémorisées. Mise à part pour la première commande qui reste fastidieuse, les courses en ligne sont réalisés en un quart d’heure, à comparer aux 55 à 70 minutes passées en moyenne à faire ses courses en hyper. Plus besoin non plus de remplir son caddie avant de le vider à la caisse, pour le remplir à nouveau après paiement, pour le vider enfin dans le coffre de sa voiture ! A coût de revient équivalent pour le consommateur, le service offert par le Drive est bien entendu imbattable.
Il était donc évident que les consommateurs adhèrent rapidement à cette offre alléchante ! Et voilà bien le souci… Elle est par trop alléchante. Le niveau de service a été positionné beaucoup trop haut. C’est ainsi qu’en proposant ce concept à leurs clients, les enseignes avouent que faire ses courses (alimentaires) en magasin a toujours été une corvée, bien loin du soi-disant « plaisir à pousser le caddie ». Les publicités des différentes enseignes (voir liens) en apportent d'ailleurs un témoignages criant...
Une nouvelle perception du positionnement de l’hypermarché
Le second problème lié au Drive est qu’il réduit en majeure partie les achats d’impulsion de produits courants. Les clients se concentrent sur l’essentiel de leurs besoins et, du fait de cette attitude, sont quasiment fermés à toute sollicitation. Il suffit de mettre en avant une promotion pour un produit complémentaire au sein d’un rayon donné pour mesurer le faible taux de transformation généré sur le produit en question. Au-delà de cette attitude, à une exception près (le Drive E.Leclerc), les sites Internet sont de toute façon trop complexes dès lors que le consommateur souhaite sortir des sentiers battus et rechercher de nouveaux produits pour « se faire plaisir ». L’e-merchandising est inadapté. Il n’y a guère que sur des mécaniques promotionnelles que l’achat d’impulsion peut être éventuellement provoqué, au détriment de la marge.
L’objectif des Drives est de faire en sorte que pour les courses d’appoints les clients reviennent en magasin. Mais dans les zones à forte implantation commerciale, force est de constater que, bien souvent, ce sont les réseaux de proximité qui enregistrent les achats complémentaires. Le nombre de visites en magasin diminuent donc fortement.
Vis-à-vis des rayons non alimentaires, les courses récurrentes étaient le créateur de trafic essentiel. Il est vrai que l’on va rarement en hypermarché acheté uniquement un produit du rayon Petit Electroménager ou un livre. Désertant le magasin, les consommateurs ont du coup tendance à se détourner de l’hyper pour acheter ces produits sur d’autres canaux, à distance notamment. Amazon les accueille d’ailleurs bien volontiers !
Quant aux rayons correspondant à des achats plus engageants (Blanc, Brun, Gris), les clients y étant ainsi moins exposés, ils ont ici tendance à se déporter sur d’autres circuits : magasins spécialisés et achat à distance.
Les enseignes de Grande Distribution avaient réussi à mettre en place un modèle reposant avant tout sur des visites récurrentes à l’occasion desquelles les clients consommaient au sein d’une offre large. On propose aux clients du Drive un modèle opposé. Du coup, ils ne reviendront en magasin qu’en réponse à un besoin précis. Cela correspond à un modèle de Distribution Spécialisée, pas de Grande Distribution.
La promesse du modèle hypermarché perd ainsi beaucoup de sa valeur aux yeux des clients du Drive. La conséquence est qu’ils pourraient avoir une nouvelle vision du positionnement même des Enseignes de Grande Distribution.
Alors existe-t-il une solution ?
Le risque majeur est, à moyen terme, une perte de marge significative et surtout un désintérêt des consommateurs pour le modèle de l’hypermarché. Sans doute quelques propriétaires de magasin l’ont-ils déjà mesuré…
Alors que faire ? Il est urgent de faire évoluer le modèle du Drive.
Tout d’abord il faut passer du « Drive » au « Drive in », en quelque sorte. Il est essentiel, pour ne pas dire vital, de faire revenir les clients en magasin. Il faut les obliger à sortir de leur véhicule pour se rendre sur une surface de vente repensée et qui inclue un service « retrait » performant. Ce sera l’occasion de chercher à provoquer des achats d’impulsion, des achats complémentaires correspondant à des produits dont certains rechigneraient à acheter à distance (les produits frais, les produits à la coupe, ou le « marché » par exemple) et le non-alimentaire.
Si ce modèle avait été proposé depuis l’origine, les consommateurs l’auraient très vraisemblablement accepté sans rechigner. Mais maintenant que les habitudes sont prises, il sera très délicat de faire évoluer ainsi le processus de retrait sans que le client ne perçoive une perte de valeur.
Il faut donc avant tout repenser le magasin et inventer l’hypermarché de demain : l’« hypermarché multicanal », qui alliera distribution traditionnelle, retrait en magasin et vente à distance. La conception et la mise en place d’un nouveau merchandising associé à un ou plusieurs points de retrait, nécessairement irréprochables sur le plan de la qualité de service, sont deux éléments éminemment stratégiques. L’effort à consentir pour les magasins qui ont opté pour un « Drive accolé » sera évidemment moindre que pour ceux qui sont aujourd’hui « isolés ». Ils tiennent peut-être leur revanche !...
L’autre effort à consentir est marketing et « culturel » car il touche l’indicateur de performance clé aujourd’hui suivi par tout directeur de magasin. Il faut dépasser la notion de « panier moyen » et suivre dorénavant le « montant moyen dépensé par un client au sein de l’enseigne » : l’ARPU (Average Revenue Per User). Pour l’optimiser il faut alors gérer la relation avec chacun de ses clients, dans le temps. C’est une véritable révolution sur le plan culturel compte tenu des conséquences fondamentales sur le modèle de distribution traditionnel : interactivité avec ses clients, individualisation de la relation, utilisation des techniques de marketing direct hyper ciblé, présence sur tous les supports interactifs y compris au sein du magasin, etc.
Il est vraisemblable que l’enseigne qui se lancera la première avec succès dans cette évolution fondamentale du modèle de la Grande Distribution prendra durablement des parts de marché significatives. Les grandes enseignes laisseront-elles Amazon prendre cette place ?
Profitant de cette appétence pour ce nouveau service, les enseignes de Grande Distribution ont considéré, à juste titre, que le concept du Drive pouvait engendrer un taux de croissance significatif de leur chiffre d’affaires. Sans évaluer les réelles conséquences sur leur modèle originel, elles ont donc déployé rapidement et massivement le concept, dans une vision court-termiste.
Les magasins qui ont créé un Drive accolé à l’hypermarché n’ont pas suffisamment pris en compte le risque de cannibalisation que ce nouveau service représentait en matière de flux de visite en magasin. Il est difficile de le leur faire avouer, mais certains directeurs de magasin doivent certainement enregistrer en pareil cas des taux de cannibalisation supérieur voire très supérieur à 30%.
Dans le cas du Drive installé dans une nouvelle zone de chalandise, en revanche, la croissance du C.A. est engendrée par l’acquisition d’une nouvelle clientèle. Bien souvent le Drive a même été implanté à proximité d’un hypermarché d’une marque concurrente.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, le Drive vient dénaturer fortement la proposition de valeur de l’hypermarché. Avec lui, la Grande Distribution est en train de scier la branche sur laquelle elle s’était confortablement installée depuis les années 50.
Pourquoi ?
Les courses alimentaires ramenées au rang de corvée
Le succès du Drive s’explique assez aisément. On propose aux consommateurs un service dont il perçoit spontanément la valeur ajoutée. Le prix est identique à celui des magasins, contrairement aux modèles de courses en ligne avec livraison à domicile. Aucun frais supplémentaire n’est facturé au titre de la préparation de commande. Les courses, soigneusement emballées, sont prêtes à être retirées sous 2 heures sur le parking du Drive, pour ainsi dire sans avoir besoin de sortir de son véhicule. Grâce aux courses en ligne, le consommateur réduit très fortement le temps qu’il alloue à ce type d’achats. En quelques clics il met au panier virtuel plusieurs dizaines de produits grâce à ses listes personnelles mémorisées. Mise à part pour la première commande qui reste fastidieuse, les courses en ligne sont réalisés en un quart d’heure, à comparer aux 55 à 70 minutes passées en moyenne à faire ses courses en hyper. Plus besoin non plus de remplir son caddie avant de le vider à la caisse, pour le remplir à nouveau après paiement, pour le vider enfin dans le coffre de sa voiture ! A coût de revient équivalent pour le consommateur, le service offert par le Drive est bien entendu imbattable.
Il était donc évident que les consommateurs adhèrent rapidement à cette offre alléchante ! Et voilà bien le souci… Elle est par trop alléchante. Le niveau de service a été positionné beaucoup trop haut. C’est ainsi qu’en proposant ce concept à leurs clients, les enseignes avouent que faire ses courses (alimentaires) en magasin a toujours été une corvée, bien loin du soi-disant « plaisir à pousser le caddie ». Les publicités des différentes enseignes (voir liens) en apportent d'ailleurs un témoignages criant...
Une nouvelle perception du positionnement de l’hypermarché
Le second problème lié au Drive est qu’il réduit en majeure partie les achats d’impulsion de produits courants. Les clients se concentrent sur l’essentiel de leurs besoins et, du fait de cette attitude, sont quasiment fermés à toute sollicitation. Il suffit de mettre en avant une promotion pour un produit complémentaire au sein d’un rayon donné pour mesurer le faible taux de transformation généré sur le produit en question. Au-delà de cette attitude, à une exception près (le Drive E.Leclerc), les sites Internet sont de toute façon trop complexes dès lors que le consommateur souhaite sortir des sentiers battus et rechercher de nouveaux produits pour « se faire plaisir ». L’e-merchandising est inadapté. Il n’y a guère que sur des mécaniques promotionnelles que l’achat d’impulsion peut être éventuellement provoqué, au détriment de la marge.
L’objectif des Drives est de faire en sorte que pour les courses d’appoints les clients reviennent en magasin. Mais dans les zones à forte implantation commerciale, force est de constater que, bien souvent, ce sont les réseaux de proximité qui enregistrent les achats complémentaires. Le nombre de visites en magasin diminuent donc fortement.
Vis-à-vis des rayons non alimentaires, les courses récurrentes étaient le créateur de trafic essentiel. Il est vrai que l’on va rarement en hypermarché acheté uniquement un produit du rayon Petit Electroménager ou un livre. Désertant le magasin, les consommateurs ont du coup tendance à se détourner de l’hyper pour acheter ces produits sur d’autres canaux, à distance notamment. Amazon les accueille d’ailleurs bien volontiers !
Quant aux rayons correspondant à des achats plus engageants (Blanc, Brun, Gris), les clients y étant ainsi moins exposés, ils ont ici tendance à se déporter sur d’autres circuits : magasins spécialisés et achat à distance.
Les enseignes de Grande Distribution avaient réussi à mettre en place un modèle reposant avant tout sur des visites récurrentes à l’occasion desquelles les clients consommaient au sein d’une offre large. On propose aux clients du Drive un modèle opposé. Du coup, ils ne reviendront en magasin qu’en réponse à un besoin précis. Cela correspond à un modèle de Distribution Spécialisée, pas de Grande Distribution.
La promesse du modèle hypermarché perd ainsi beaucoup de sa valeur aux yeux des clients du Drive. La conséquence est qu’ils pourraient avoir une nouvelle vision du positionnement même des Enseignes de Grande Distribution.
Alors existe-t-il une solution ?
Le risque majeur est, à moyen terme, une perte de marge significative et surtout un désintérêt des consommateurs pour le modèle de l’hypermarché. Sans doute quelques propriétaires de magasin l’ont-ils déjà mesuré…
Alors que faire ? Il est urgent de faire évoluer le modèle du Drive.
Tout d’abord il faut passer du « Drive » au « Drive in », en quelque sorte. Il est essentiel, pour ne pas dire vital, de faire revenir les clients en magasin. Il faut les obliger à sortir de leur véhicule pour se rendre sur une surface de vente repensée et qui inclue un service « retrait » performant. Ce sera l’occasion de chercher à provoquer des achats d’impulsion, des achats complémentaires correspondant à des produits dont certains rechigneraient à acheter à distance (les produits frais, les produits à la coupe, ou le « marché » par exemple) et le non-alimentaire.
Si ce modèle avait été proposé depuis l’origine, les consommateurs l’auraient très vraisemblablement accepté sans rechigner. Mais maintenant que les habitudes sont prises, il sera très délicat de faire évoluer ainsi le processus de retrait sans que le client ne perçoive une perte de valeur.
Il faut donc avant tout repenser le magasin et inventer l’hypermarché de demain : l’« hypermarché multicanal », qui alliera distribution traditionnelle, retrait en magasin et vente à distance. La conception et la mise en place d’un nouveau merchandising associé à un ou plusieurs points de retrait, nécessairement irréprochables sur le plan de la qualité de service, sont deux éléments éminemment stratégiques. L’effort à consentir pour les magasins qui ont opté pour un « Drive accolé » sera évidemment moindre que pour ceux qui sont aujourd’hui « isolés ». Ils tiennent peut-être leur revanche !...
L’autre effort à consentir est marketing et « culturel » car il touche l’indicateur de performance clé aujourd’hui suivi par tout directeur de magasin. Il faut dépasser la notion de « panier moyen » et suivre dorénavant le « montant moyen dépensé par un client au sein de l’enseigne » : l’ARPU (Average Revenue Per User). Pour l’optimiser il faut alors gérer la relation avec chacun de ses clients, dans le temps. C’est une véritable révolution sur le plan culturel compte tenu des conséquences fondamentales sur le modèle de distribution traditionnel : interactivité avec ses clients, individualisation de la relation, utilisation des techniques de marketing direct hyper ciblé, présence sur tous les supports interactifs y compris au sein du magasin, etc.
Il est vraisemblable que l’enseigne qui se lancera la première avec succès dans cette évolution fondamentale du modèle de la Grande Distribution prendra durablement des parts de marché significatives. Les grandes enseignes laisseront-elles Amazon prendre cette place ?
Vidéo :
Carrefour : http://www.youtube.com/watch?v=Tn9qgIoEE2A
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